Segmenter son offre à outrance: perdre ses clients à trop vouloir en gagner!
Par Claude Volery, directeur de Plus Sept Consulting sàrl
Segmenter son offre à outrance : perdre ses clients à trop vouloir en gagner!
Segmenter son offre, c’est la découper en de multiples variantes pour répondre à la diversité de la demande. Mais à vouloir couvrir toujours plus de besoins hétérogènes afin de conquérir une clientèle toujours plus vaste, certaines entreprises compliquent dangereusement la décision d’achat du client, confronté à un choix devenu beaucoup trop vaste.
Segmenter son offre
- Notre cerveau intègre un nombre limité de paramètres dans la prise de décision.
- Segmenter son offre excessivement perturbe le processus d’achat du client.
- La segmentation de l’offre doit juste répondre aux besoins, pas aller plus loin!
- Désegmenter en recherchant des points convergents plutôt que des différences.
La segmentation de l’offre complique la décision d’achat
Rappelons-nous cette courbe en U inversé, où l’axe horizontal représente la quantité d’informations à disposition et l’axe vertical la qualité de la décision qui peut être prise sur la base de ces mêmes informations. Avec trop peu de données, il est difficile de prendre une décision optimale. Mais la surabondance d’informations complexifie également la prise de décision. Le cerveau humain ne peut en effet intégrer qu’un nombre limité de paramètres pour garder la vue d’ensemble indispensable au processus décisionnel.
Il en va de même dans le processus d’achat de nos clients. Plus le choix qui leur est offert est imposant, plus leur décision d’achat devient difficile.
Prise dans une course à la différenciation et souhaitant naturellement augmenter sa clientèle cible, une entreprise peut être tentée de segmenter son offre exagérément, espérant ainsi répondre aux besoins du plus grand nombre de clients potentiels. Plus la concurrence est sévère et plus cette tendance se confirme. Mais c’est oublier que la segmentation de l’offre poussée aussi loin complique la décision d’achat du client au risque qu’il aille voir ailleurs.
Segmenter son offre à outrance déstabilise le client
Prenons comme exemple une société suisse qui fabrique et distribue des équipements de très haute qualité destinés aux adeptes de sports de montagne.
Le client qui cherche un pantalon sur le site internet de la marque se trouve confronté à un choix initial de 29 modèles. En affinant ses critères (par exemple “homme, escalade alpine et alpinisme classique”), il arrive à restreindre la sélection à 10 pantalons différents. Il peut encore choisir parmi 15 matières aux noms pas toujours explicites, jusqu’à 3 couleurs et 24 tailles différentes. Mais au final lequel de ces 10 modèles est le mieux adapté à son activité?
Songeur devant ces multiples possibilités, il pourrait décider de se rendre chez un commerçant spécialisé. Mais lui aussi a dû faire un choix et limiter son assortiment à certains modèles de la vaste gamme. Parmi les 10 pantalons préalablement sélectionnés, lesquels aura-t-il en stock, dans la taille adéquate et avec la bonne couleur?
Au final, que le client fasse son achat sur internet ou dans un commerce spécialisé, il court le risque d’acquérir un article qui ne sera pas parfaitement adapté à son activité et à ses besoins.
Dans le doute, le consommateur risque finalement de se rabattre sur une marque concurrente, dont l’offre plus simple lui permettra de faire rapidement un choix et de prendre sa décision d’achat sans hésiter.
Cet exemple concret montre que le fabricant a voulu tellement segmenter son offre et qu’il décline ses articles dans tant de variantes différentes que l’acheteur se perd dans son choix. En outre, la segmentation de l’offre est plus affinée que le besoin du client qui n’en demande pas tant, et surtout qui n’a pas besoin d’un article aussi spécifique. Malgré la qualité de ces produits, l’acquéreur doutera toujours d’avoir acheté l’article le mieux adapté à sa pratique.
KISS : « Keep It Simple and Stupid »
La segmentation de l’offre et l’extension du portefeuille produits pour gagner de nouveaux clients… et perdre les existants!
Analysons maintenant la stratégie d’un grand fabricant japonais d’appareils photo.
Depuis sa création, il y a bientôt 100 ans, la marque en question se différenciait par ses innovations et sa stratégie commerciale. Elle consistait alors à limiter sa gamme à quelques appareils exceptionnels et révolutionnaires, mis sur le marché à un rythme délibérément lent d’un nouveau produit tous les 2 ou 3 ans. Pour l’acheteur, l’investissement se justifiait facilement, car même plusieurs années après l’acquisition, son appareil photo était toujours à la pointe de la technique et au moins aussi bon que ceux, plus récents, de la concurrence.
Le principal compétiteur avait une stratégie radicalement opposée, lançant très fréquemment des appareils également de haute qualité, mais moins innovants. Les adeptes d’une marque étaient les fervents détracteurs de l’autre.
Mais depuis quelques années, notre fabricant japonais a diamétralement changé sa stratégie, emboîtant le pas à son concurrent direct et allant jusqu’à lancer bien plus fréquemment que lui de nouveaux produits toujours bons, mais plus révolutionnaires du tout. Son catalogue compte aujourd’hui 2 fois plus de produits que celui de son rival de toujours!
En voulant segmenter son offre à outrance afin d’élargir sa clientèle et toucher de nouveaux adeptes, le fabricant a perdu les principaux avantages concurrentiels qui le différenciaient de ses compétiteurs. Le client de longue date ne trouve plus ses repères et ne s’identifie plus à la philosophie de la marque. De nouveaux appareils étant mis sur le marché très fréquemment, leur cycle de vie en est d’autant raccourci et la pérennité de l’investissement n’est plus un argument de vente. Alors que sa stratégie devait l’aider à gagner de nouveaux clients, l’extension de son portefeuille produits et la segmentation de l’offre excessive risquent à terme de lui faire perdre ses plus fidèles partisans. Quant aux clients potentiels qu’il espère ainsi gagner, ils doivent aujourd’hui faire le choix entre un appareil « beau & simple », ou « fin & élégant » ou encore « performant & intelligent » (selon les segments présentés sur le site de la marque). Là encore, la segmentation de l’offre va plus loin que les besoins du client, mais celui qui souhaite juste acquérir un appareil simple et performant devra se tourner vers la concurrence s’il s’en tient à la promesse des (trop) nombreux segments proposés!
Désegmenter et chercher les besoins convergents
Segmenter son offre pour conquérir de nouveaux marchés est une démarche indispensable. Mais attention à ne pas essayer de répondre à toutes les demandes, même à l’ère de la consommation démesurée. Car à vouloir couvrir tous les besoins, on ne répond à aucun.
La sursegmentation de l’offre complexifie le processus d’achat du client, au risque de lui ouvrir la porte d’un concurrent dont l’offre sera plus simple, plus facile à comprendre et à analyser. Elle a également de nombreux effets de bord: coûts logistiques, stocks invendus, chaînes de fabrication supplémentaires, marketing, packaging, R&D, etc.
Pour satisfaire et fidéliser son client, il faut se recentrer sur ce qu’il veut vraiment, sur son besoin central, et ne pas se perdre dans des à-côtés qu’il ne demande pas et qui vont le faire douter. Simplifier son offre, présenter des solutions faciles à comprendre et à décider, désegmenter en recherchant des besoins convergents plutôt que divergents!
Le montagnard a-t-il vraiment besoin d’un choix final de 10 pantalons différents? Et le photographe de plus de 65 appareils dont beaucoup ne sont ni beaux ni performants si l’on s’en tient aux noms des segments présentés sur le site de la marque?
Et votre client, attend-il vraiment de vous un tel assortiment? A l’heure de segmenter son offre, la question mérite d’être posée…