Small talk: faites du blabla un outil professionnel!
Cet article a été publié dans PME magazine de décembre 2016.
«Ça sent l’hiver? Vous êtes amateur de rugby?» La technique de la phrase engageante face à des inconnus se révèle cruciale dans le monde du travail pour celles et ceux qui la maîtrisent. Les cours se multiplient pour les cadres et les entreprises. Car dans une relation commerciale, tout se joue dès les premières secondes de la conversation.
Pour Pablo, le souvenir est encore douloureux. Nous sommes le 11 février 2016. A Genève, les conférences Lift dédiées à l’innovation numérique battent leur plein. Pablo, jeune trentenaire qui a monté sa start-up dans les nouvelles technologies de communication l’année précédente connaît bien cet événement pour y participer depuis plusieurs années. Mais cette fois-ci, l’enjeu est différent. «Je m’étais fixé l’objectif de réseauter au maximum pour présenter mes activités et démarcher de potentiels clients pour mes solutions», dit-il. Sur le papier, Pablo est un redoutable communicant. En pratique, les choses sont beaucoup moins fluides.
Ce soir-là, Lift organise sa traditionnelle fondue au Théâtre Pitoëff de Genève. Plus de 300 participants, conférenciers, entrepreneurs de Suisse et de l’étranger sont annoncés. «Je savais qu’il y aurait ce patron d’une société qui utilise des solutions concurrentes aux miennes. Je voulais absolument le rencontrer», raconte Pablo. Le jeune start-uper le repère au bar, se fraie un chemin dans la foule et lui glisse: «Il y a du monde hein? C’est aussi embouteillé que Genève en fin de journée…» C’est le grand blanc. Son interlocuteur se retourne, esquisse un sourire gêné, puis conclut cette amorce de discussion bizarroïde par un «Bonne soirée», avant de s’éloigner. «J’étais livide, se souvient Pablo. Je suis resté planté là en me disant que j’avais complètement raté le coup.» Et c’était le cas.
Si Pablo maîtrisait les techniques du small talk, il serait peut-être en train de faire des affaires avec son interlocuteur. Le small talk, ces petits sujets légers comme la météo, les transports ou la nourriture que l’on aborde tous dans des situations et des lieux informels pour engager la conversation se révèlent cruciaux dans la vie professionnelle. Sa pratique relève même d’une véritable stratégie de communication informelle. Car le small talk permet le réseautage, humanise les relations professionnelles, favorise l’accès à certains interlocuteurs de l’entreprise ou détend l’atmosphère d’une réunion stressante. Et plus encore si l’on en maîtrise les codes.
Les ateliers se multiplient
Le small talk est une technique qui s’apprend, se prépare et s’adapte au lieu, à la situation et à l’interlocuteur. En d’autres termes, parler de football dans l’ascenseur avec le grand patron de l’entreprise n’a rien de spontané. Vous savez en vérité qu’il suit la Champions League. Ce bref échange sur les résultats du dernier match vous permettra de tisser un lien privilégié avec le patron et de vous rendre intéressant à ses yeux. De là à lui demander une augmentation? Tous les individus ne sont pas égaux face au small talk, car sa pratique n’est pas naturelle. Il y a les éternels introvertis qui laissent tout le champ à leur interlocuteur. Les extravertis qui monopolisent au contraire les échanges. Enfin, celles et ceux qui seront d’accord avec tout ce que dira l’autre au risque de passer pour des personnes inintéressantes.
En Suisse romande, les ateliers de small talk se multiplient. Conscientes du fort potentiel de ces «petits mots» dans le monde professionnel, les entreprises mandatent des coachs à l’interne. Parfois, ce sont les cadres eux-mêmes qui participent à ces cours à titre personnel afin d’éviter le small talk subit. «La maîtrise de cette brève discussion avant la partie officielle et structurée d’un entretien est cruciale. Ce sont les premières secondes qui font la différence», souligne Claude Volery, directeur de Plus Sept Consulting, à Montreux (VD) et Farvagny (FR). Depuis vingt ans, le consultant formateur enseigne les rudiments du small talk.
Ses clients? Des commerciaux de tous horizons, des conseillers bancaires, des directeurs commerciaux dans l’industrie ou l’hôtellerie, mais aussi des cadres intermédiaires ou dirigeants. Tous ces profils ont un point commun: ils ont un contact avec la clientèle ou les fournisseurs. «Le small talk est une technique qui leur permettra de chercher des points communs avec leur interlocuteur. Un atome crochu qui se révélera utile dans la relation commerciale», résume Claude Volery. Le b.a. – ba se nomme la technique de l’entonnoir. «Il s’agit de commencer par poser une question très large, puis de resserrer les questions pour obtenir le maximum d’informations de l’interlocuteur.»
Garder le lead
Claude Volery cite l’exemple fictif d’un déjeuner professionnel entre un commercial et un potentiel client: «Vous avez passé un bon week-end? Oui, je suis allé skier. Dans quel coin? A Verbier. Vous y avez un chalet? Oui, on y monte tous les week-ends avec ma femme et les enfants.» En moins d’une minute, le commercial apprend que son potentiel client est marié avec des enfants, aime le ski et peut-être d’autres activités à la montagne, et qu’il est propriétaire. Cela paraît très bête et facile. Mais ce n’est pas donné à tout le monde. «Il faut contrôler le déroulé du small talk par un habile jeu de questions ouvertes et fermées pour mieux comprendre notre interlocuteur et le mettre à l’aise, commente le formateur. Sauter sur le premier sujet venu ne servira qu’à briser la glace, mais l’échange n’ira pas plus loin.»
Justement, quels sont les sujets à aborder? «Le small talk requiert de la stratégie et de la préparation, ajoute Claude Volery. On ne va pas voir le client sans préparation. Avant le rendez-vous, je conseille de parcourir les médias sociaux et de lire la presse pour connaître les dernières nouvelles dans la région d’activité de son client. Un œil à Google Trends pour s’informer des recherches les plus populaires sur Google est une autre solution. Ce sont toujours de bons sujets de discussion.» En revanche, on évitera de parler politique, argent, santé ou religion. «Ce qui prédomine, c’est de s’intéresser à son interlocuteur, sans être intrusif. Si la démarche de small talk n’est pas sincère, cela se ressentira très vite.»
Se mouiller pour faire des affaires
Selon Didier Grobet, tout l’enjeu de l’exercice est de transformer le «small talk en smart talk». Entendez par là que le premier échange informel a pour vocation de déboucher sur des discussions plus concrètes, comme la prise d’un rendez-vous professionnel. Didier Grobet est depuis trente ans consultant en marketing. A la tête de sa société DG-Marketing, le Vaudois est surtout un fin connaisseur du small talk puisque son activité indépendante le pousse à écumer les cocktails dînatoires, les galas ou les conférences de la région à la recherche de nouveaux contacts. Le small talk, il connaît donc et l’enseigne. Comptez près de 500 francs les deux demi-journées.
Depuis plusieurs années, des patrons de PME, des consultants, des commerciaux, des assureurs ou des gestionnaires de fortune participent à ses ateliers de coaching pour glaner ses précieux conseils. «Le small talk, c’est avant tout la technique de savoir se lancer. Personne n’aime engager la conversation avec un inconnu, observe Didier Grobet. Dans un cocktail, la grande majorité des gens sont mal à l’aise. Prendre conscience de cette gêne permet de dissiper ses propres complexes et de se lancer.» L’art du small talk consiste à sortir de sa zone de confort. «Il faut montrer qui on est en prenant des risques maîtrisés. On ne fait pas des affaires avec un interlocuteur qui ne se mouille pas ou qui est d’accord avec tout. C’est ennuyeux.»
Didier Grobet conseille à ses apprentis small talkers de se préparer en amont d’une réception. Qui sera là? Que vais-je dire? Quels sont mes points communs avec les autres invités? Quels sujets je peux aborder? «Cette préparation sert à se sentir plus à l’aise dans les échanges qui seront naturellement plus spontanés.» Et puis, il faut aussi veiller à ne pas en faire trop. «Si votre interlocuteur a terminé son assiette alors que vous n’avez avalé que quelques bouchées, c’est que vous avez trop parlé», estime Didier Grobet.
Pour avoir la bonne attitude en société et tirer les bénéfices du small talk, le maître des petites phrases réfléchit aux profils de small talker qu’il déteste. Celui qui ne parle que de lui? Qui empiète notre espace vital? Qui dit du mal des autres? «Ce travail lui permettra d’adopter les bonnes pratiques», conclut le spécialiste.
Retour à Genève où Pablo a tiré les leçons de son «humiliation» en société. Le jeune start-uper aborde désormais les raouts professionnels avec davantage de préparation. Il a d’ailleurs osé recontacter ce patron tant convoité lors des conférences Lift. Heureusement pour Pablo, il ne se souvenait pas de lui.
Par Mehdi Atmani